Débriefing de la 2e étape
de la Mini Transat 2023 : la résilience

Par Victor Mathieu

Son mini 6,50 “Optimum 967 – Celeris Informatique” a été hissé sur le cargo du retour. Mais Victor Mathieu ne rentre pas en avion… il reprend la mer avec son compère François Jambou pour convoyer un class40 vers l’Europe. Arrivée prévue courant décembre…
Malgré l’enchaînement des avaries techniques qu’il a vécues lors de la deuxième étape de la Mini Transat La Boulangère 2023, Victor a toujours envie de naviguer. Et encore davantage !
Nous l’avons interviewé pendant son quart. Voici le débriefing de la 2e étape de la Mini Transat La Boulangère 2023.

Victor, quel est ton ressenti général sur cette deuxième étape ?

J’ai l’impression d’avoir fait ce que j’avais à faire. Évidemment, je suis frustré de ne pas avoir pu prendre part au match pour lequel je me préparais depuis 2 ans, mais j’ai composé avec les aléas et je suis très content du début de l’étape avant que les problèmes techniques ne me pénalisent.

Départ de la 2e étape de la Mini transat
Un très bon départ à Santa Cruz de La Palma

En effet, nous avons appris pendant la course que tu avais cassé ton bout-dehors puis ton safran… Peux-tu nous en dire plus ?

Découverte des avaries

J’ai rapidement cassé en deux mon bout-dehors, cette pièce maîtresse du bateau qui permet d’utiliser les voiles de portant. La deuxième étape de la Mini Transat étant composée à 95% de portant, j’ai perdu 20 à 30% des performances du bateau une fois le bout-dehors cassé.

Imaginez-vous être un pilote qui prend le départ des 24 Heures du Mans au volant d’une voiture qui peut gagner. Après seulement 2 heures de course, celles nécessaires pour vous placer au mieux dans le groupe, vous cassez votre boîte de vitesse. Impossible de passer la 5e et la 6e, vous êtes condamné à parcourir la fin de la course en 4e. Ainsi, vous ne perdez pas trop dans les virages, mais lors des longues lignes droites, irrémédiablement, les autres voitures vous dépassent.

Deux jours après, c’est un de mes safrans qui casse, qui me sert à manœuvrer le bateau. Je perds encore 20 à 30% de performance.

Du coup, à l’arrivée, vous êtes juste content d’avoir fini ces 24 Heures du Mans qui vous ont paru durer 72 heures et heureux de ramener la voiture au stand sur ces quatre pneus.

Peux-tu nous parler de tes options prises en météo et pourquoi tu les as choisies ?

J’ai pris un superbe départ, choisissant de partir à l’inverse du reste de la flotte sous le vent, avec un choix de voile qui m’a permis de mettre de l’écart avec les concurrents dès le début.

La première nuit fut un peu moins bien, je me suis écarté de l’île d’El Hierro que l’on devait passer par peur du dévent (séquelle de la première étape), les 2/3 de la flotte me passent devant…

Une fois au sud de l’île d’El Hierro, c’est là que le vrai choix météo devait être fait. Une partie de la flotte part au nord (route préconisée sur les routages), pendant que quelques joueurs de poker partent au sud (choix dangereux tactiquement, mais qui pouvait vraiment être payant par la suite).

Pour ma part, j’ai fait un entre-deux, choisissant la sécurité, tout en sachant que deux jours plus tard, je serai au mieux bien positionné et en tête, au pire bien positionné et avec un peu de retard à combler.

Deux jours plus tard, j’étais bien positionné et en tête !

L’option nord, celle indiquée par les routages, ne semblait plus si bonne après le premier bulletin météo reçu 24 heures après le départ. L’option sud était un coup de poker que je ne voulais pas tenter.

Je ne suis pas un parieur. J’analyse et je choisis l’option qui me semble la plus fiable tout en privilégiant souvent le fait de faire le moins de route possible.

J’essaie en général de prendre mes décisions indépendamment du reste de la flotte, tout en gardant un œil dessus évidemment. Disons que si je trouve qu’un choix est plus logique, même si personne n’y va, je préfère y aller, quitte à me tromper.

Je veux faire ma propre trace. En général, je n’ai pas peur des erreurs, je les accueille même avec joie lorsqu’elles me permettent d’apprendre. Donc quand une option se dessine et que j’y crois, j’y vais à fond !

Observez les options de course de Victor sur la carto de la 2e étape.

Quel est pour toi ton meilleur coup ?

Certainement le départ même si vu la longueur de la course ce n’est pas si important.

J’étais ravi de pouvoir exploiter ce que j’appelle mon arme de guerre : le spi medium X-voile, ma voile d’avant ultra-polyvalente. Cela peut paraître contre-intuitif, mais dans peu de vent, il fonctionne beaucoup mieux que les grands spis ayant plus de surface.

J’adore jouer ce genre de coup, car les concurrents autour de moi dégainent tous le maximum de surface de voile qu’ils ont avec leur grand spi, et moi avec mon petit spi plat, je glisse et me fait la malle.

Cela me plaît bien les choix de voile contre-intuitif, cela montre que notre sport est incroyablement technologique et qu’il faut en permanence se creuser la tête pour trouver les bonnes configurations.

Quel est pour toi le meilleur moment de cette deuxième étape ?

Sans hésiter l’arrivée ! Et le fait de retrouver tous mes proches, mes amis, ceux qui m’ont soutenu. C’est dans ces moments-là que ces projets prennent tout leur sens : lorsqu’on les partage !

Arrivée de Victor Mathieu à Saint-François
Une arrivée nocturne pour Victor à Saint-François, le 12 novembre

Peux-tu nous raconter ton pire moment de course ?

Lorsque je casse mon safran. J’avais jusque-là réussi à faire “l’autruche” et rester focus sur ma performance malgré la casse du bout-dehors.

Quand je casse mon safran et que je comprends que je ne pourrais pas réparer, tout dégringole dans ma tête, les chances de rester sur le podium disparaissent. C’est fini pour moi.

Deux ans de projets, de travail sept jours sur sept, parfois 10h par jour, de stress, d’énergie… Et d’un coup c’est fini.

Je vous rassure, j’ai vite retrouvé le sourire. J’ai souri à cette vie à laquelle je fais pleinement confiance et qui parfois vient vous mettre une petite claque pour voir si vous êtes toujours d’attaque, prêt à vous relever.

Un vrai bambou quoi ! “Le bambou plie sous les assauts du vent, mais ne rompt jamais”. C’est ce qu’on appelle la résilience !  

Comment tu as géré la vie à bord ? (sommeil, nourriture…)

J’ai géré cette partie de la course comme d’habitude, en écoutant mes sensations. Lorsque j’ai faim, je mange. Lorsque je suis fatigué, j’essaye de me reposer.  

Sur la deuxième étape, il faut vivre la nuit, car c’est la nuit que le vent fait ses caprices et peut vous jouer des tours. La journée, on se repose et on s’abrite du soleil.

Plus généralement sur la Mini Transat… Quel est ton sentiment général sur cette course ?  As-tu des regrets ? Es-tu fier ?

J’en suis très fier.
Fier d’être allé au bout de ce projet, qu’importe le résultat.
Fier d’avoir traversé cet Atlantique avec Optimum, une première pour nous deux.
Fier de toute l’énergie que j’ai pu mettre pendant ces deux années de projet.

Et surtout très heureux d’avoir pu le partager, et d’avoir fait rêver tous les gens qui m’ont suivi. Ça, c’est clairement le “must” !

Arrivée de la 2e étape de la Mini transat 2023
Accueil familial de Victor aux Antilles

Qu’est-ce que tu referais différemment sur la course ?

Je ne referai rien différemment, j’accueille cette expérience telle qu’elle s’est déroulée et grandie de tous les enseignements que j’ai pu y trouver.

Quelles sont les grandes leçons que tu as tirées ?

Je ne dirai pas que j’ai tiré de grandes leçons, simplement que je suis allé encore une fois un peu plus loin dans la découverte de la détermination dont l’on peut faire preuve en sortant de notre zone de confort.

Cette détermination, je l’ai découverte il y a quelques années lorsque je me donne un an pour participer et finir un “Ironman”, moi qui n’avais jamais fait guère plus qu’un semi-marathon.

Relever ce premier défi à 21 ans m’a donné le goût de l’effort, l’envie de repousser toujours un peu plus loin mes limites.

La course au large est une discipline parfaite pour mettre à l’épreuve ce que j’appelle “l’esprit marathon”.

Un pas après l’autre, pierre après pierre, on se bat contre soi-même pour aller chercher une énergie, une force mentale que l’on soupçonnait sans l’avoir encore expérimentée.

Retrouvez ici le classement général de la Mini Transat 2023 – La Boulangère.

Comment se dessine la suite des aventures en course au large pour toi ?

Alors que j’écris ces lignes au fond d’un Class40 qui me casse les lombaires à chaque fois qu’il retombe dans les vagues, je le dis haut et fort : JE VAIS CONTINUER LA COURSE AU LARGE.

Malgré toutes les opportunités qui me permettraient de vivre une vie douce, sans galère, sans stress, une vie certainement reposante et calme.

Pour moi, il n’y a aucun autre métier qui me sort autant de ma zone de confort, qui me stimule autant intellectuellement, qui me challenge chaque jour que celui de skipper.

Je vais donc continuer chaque matin à me lever avec cette envie d’aller plus loin que l’horizon. (Cf “Toucher l’horizon” de Oxmo Puccino).

Allez, je vous laisse, c’est la fin de mon quart, j’entends que François se réveille.
À bientôt les amis,

Victor

Merci à Vincent Olivaud et Mini Transat – La Boulangère pour les photos.
Tous droits réservés.

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